jeudi 10 mars 2016

Comme une algue sur une épave

Tu t’es endormie
….sur moi
De tout ton long
Étirée, moulée
Comme une algue
….sur une épave.
Un filet de salive
Frais comme la rosée
….coule
….sur mon épaule
Tu t’abandonnes
Corps et âme.
Tu m’aimes
C’est certain
Pour déserter la vie
Un si long moment
Et jeter l’ancre
….sur mon corps
Toi, mon escale.

Tu m’aimes
En tout lieu
Ici ou ailleurs
En terre ou étoile.
Pas de conquête
Ni de long chemin
Nul refuge
Nul terrier rouge
Pas de trésors
Enfouis
Oubliés
Dans quelque caverne
Ou abysse.
Tu es champ de fleurs
Je te cueille
À mon désir
Et te garde
Toute pour moi
Pour te nourrir
À même la sève
Qui coule
En rafale
Dans mes veines
Toi, mon aurore.

Tu m’aimes
La nuit venue
Sans flambeau
Ni candélabre
Sans ombre
Ni contraste
Dans l’opacité
De ta silhouette
C’est toujours ça de pris
Dans cette vie
Si mesquine
….en caresses.
Mon bonheur s’accroche
Fermement
Au lustre des étoiles
Offertes en garantie.
C’est l’espoir d’un matin
Nouveau départ
Pour me refaire
Plus beau
Plus grand
Dans le rêve
Le songe
Dans ton désir
Toi, ma fée.

Tu m’aimes
En rêves légers
Dans ton sommeil
Silencieux
Profond comme un plaisir.
Lentement
Je chavire
….sur le dos
….….ton corps
Lourd de lassitude
Délicat passage
Où je t’éloigne
De mon corps.
Ne te réveille surtout pas
Ne sombre pas non plus
….ailleurs
Dans quelque mer
….intérieure
Toi, ma fenêtre.

Tu m’aimes
Par tes ouvertures
Tantôt étales

Bien fermées.
Sans défense
Contre personne
Méfiance des autres
Peut-être
La crainte des petits doutes
Et un soupçon de peur
Dans les viscères.
Mon ventre est noué
Tel l’animal
Qui te regarde
De loin
En secret.
Tu ne penses pas à moi
L’inexistant.
Une autre déception
Je boude
Inutile sursaut
Quand on est seul
À le savoir
Toi, ma jouissance.

Tu m’aimes
À en jouir
Goulûment
Écoutes chaque mot
Que je dis
Ils parlent d’amour
Et de désarroi.
Tes yeux se sont fermés
….au délire.
Je glisse mon doigt
….sur ta nuque
Ton front se plisse
Gémissements menus
Pleurs vains de la fillette
D’un autre âge.
Point de chagrin
Ça n’en vaut pas la peine.
N’empêche
Je me suis délesté
D’une bien belle cargaison
Toi, ma lumière.

Tu m’aimes
À contre-jour
Quand mon cœur fait replis
Dans la pénombre
….du paradoxe
Tu m’aimes
Je t’aime
Et pourtant
Je suis malheureux
Assidûment
Au bord des larmes
Adolescent timide
Comme ce frêle rayon
….de lune
Tassé honteusement
….dans l’encoignure.
La ville geint
L’air crécelle
En douce
Le rideau bouge
Une griffe l’agite
La patte ravisseuse
….de bonheur
Toi, mon frisson.

Tu m’aimes
Dans mon fort intérieur
Dans mon moi profond
Intime.
Je ferme la fenêtre
Pour retrouver
Douceur et calme
Et tes alentours.
Étrange angoisse
Dans ma tête lourde
Tourment malvenu
Tel un glaive brûlant
Dans la tiédeur
….du petit jour.
Je tourne en rond
Pour m’étourdir
Et oublier
M’oublier
Sauter les heures.
Tu dors toujours
À contre-courant
Du malheur
….qui m’assaille
Encore
Toi, ma vision.

Tu m’aimes
Dans mes idées confuses
Plus obscures et exiguës
….qu’un cachot.
Je m’assois à la table
….de la cuisine
Ne rien faire d’autre qu’écrire
Concasser le noir sur le blanc
Poignarder les maigres lettres
Marteler la tôle des mots
Écraser les pattes
….du A
Cabosser le point
….sur le i d’Aimer
Fuir la foule
Me replier sur moi-même
Comme le e
En silence
Muet
Et tendre mes bras
….vers l’inconnue
Toi, ma légende.

Tu m’aimes
Dans mes mots
Quand j’écris
À gorge déployée
Quand je hurle
De me rejeter
De ne pas m’aimer
Tel que je suis
Tel que tu me vois
À langueur de jour
Pauvre image
Cliché
Esquisse
Épreuve au mille retours
….de chariots.
Tu me liras
À l’envers des codes secrets
Tu me dépouilleras
….de ma faiblesse
Tu illumineras
….mon écriture mystère
Jusqu’à ce que je te dévoile
….ma détresse
Toi, ma vérité.

Tu m’aimes
Dans mes mensonges
Quand je donne
….mon être entier
Aux embruns de l’histoire
Quand je façonne des poèmes
Pour dire non
….aux faux-semblants.
Poémiser toujours
Encore,
Sur la même page
Blanche morte
Jeter les mots
….entre deux vides
Celui de mon cœur
Celui de ma tête.
Mon poème est véridique
Mais voûté
….comme une trahison
Toi, ma tristesse.

Tu m’aimes
Dans mes pleurs
Vastes larmes
Répandues par terre
De honte
De pudeur
Qui sait.
Évidement
Mauvais sens
Affliction en ristourne
Blafarde.
Le malheur lèche
….mes derniers remords
Puis s’élève
….une odeur de chanvre
Qui disparaîtra
Au petit matin
Furtive fée
En mal d’étreintes
Chassée par l’arôme
….du café frais.
Mais tu seras
Inlassablement
Présente
Toi, ma certitude.

Tu m’aimes
Encore
Et davantage
Femme endormie
….sur le dos
Si mélodieuse
Dans ton silence.
Tes deux mains
À plat sur ta poitrine
Nue
Vaillante chasteté
En redoute
Dans la véracité
….de ta nature
Humaine.
Au réveil
Tu me doperas
….de ta sève
Vigueur
Cerises à chair molle
Lait rose suintant
….de tes mamelons
Jusqu’au tarissement
….de l’extase.
À midi
Dans l’union des aiguilles
Amantes
Quand sonnera
Enfin
L’alexandrin.
Alors
Pour toi
J’accoucherai
D’un poème noirci de lumière.

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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vendredi 4 mars 2016

Mille rubis glaçons

Certaines nuits,
Nos cœurs sont durs,
Durs de tant de dureté,
Avec, dedans,
Des âmes conceptrices
De mille rubis glaçons,
Puisés à même l’histoire écarlate
De tous les proscrits de la ville.

Nos prunelles sont remplies
     de roches
     de cailloux
     de pierres
Larmes breloques,
Hématites trahies
Par la profondeur de la nuit
Ouverte aux cernes sanguins.

Nos regards récifs se portent sur
     les gens
     les choses
     les lâchetés.
Nos mirages passent outre
     l'eau
     le feu
     le vent
     la terre
     l’orgasme.

Toute la nuit,
Les oisillons picorent
     les miettes du jour
Sous leurs coquilles lisses.
Et nous... et nous,
Si tendres enfants d’hier...

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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lundi 22 février 2016

Nœuds de cristal

Heureux,
Nous rachetons à vil prix
La brillance des nuits noires,
Hachures racines
Dans le creux de nos cous,
Jarretelles autour des nues
Enflammées d’astres.

Heureux,
Nous cisaillons le plomb
Des lourdes neiges,
Bataillons loufoques
Dans l’immensité de l’univers.

Heureux,
Nous nacrons le fer des rais-de-cœur
En jaspe sanguin
Dans la clarté des regards
Des milles et une nuit.

Heureux,
Nous soufflons sur le ventre
De l’enfant blond
Qui rie aux éclats
Sur l’édredon de feuillage
D’automne bronze.

Alors que les nœuds de cristal
     Se
     Défont
     Dans
     La
     Chaleur
     Des
     Jaspes
     Noirs,
Sur le rebord des fenêtres,
Nous respirons les corps parfums
De la nuit maternante.

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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vendredi 19 février 2016

Sous le linceul des paupières

Un ventre se dénude
Sur les aquarelles laiteuses,
Nombril-de-Vénus
Entre les raies de grossesse,
À venir enfanter l’aimer d’amour,
Pour toujours,
Et encore,
Toute espérance.

Il fait tiède entre les seins...
Une voix dit « Je t’aime ».
Qu’entendre de plus ?

D’instinct,
Le crâne de la ville éclate,
Un chat miaule,
Les oiseaux s’envolent.

Alors,
Tout s’éclaire
Sous le linceul des paupières.

Pierre Rousseau, Poèmes de nuit, 2003.
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mercredi 17 février 2016

Dureté sous chair

Il tombe des quartiers d’oranges
Dans l’haleine du printemps,
Couleur précieuse des beautés perdues
En quelques épreuves
Cramponnées à nos penchants.

En obscènes gestes maladroits
Nous palpons le vivant.
Le bout de nos doigts
     font
     de     petites     ombres     périssables
Sur les chairs clair-de-lune.

À même le règne animal,
Les bêtes frémissantes soufflent du blanc
Et les belles créatures tremblent
De toute leur carcasse.

Les caresses sont,
     avant tout,
          mouvements d’os.


Pierre Rousseau. Sur le dos de la nuit, 2005.
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dimanche 14 février 2016

Desmode

Un jour, tu arriveras à la lunaison des loups-garous
Le cœur ouvert à l’opération maligne du temps
Toussotements et rires s’entremêleront confus
Dans les plaies béantes de tes amours mortes.

Un jour, ton sang giclera de tes pores orifices
Ta bonté dévorera les hurlements dormeurs
Murmures et grognements fusionneront,
Maléfices dans tes rêves et yeux de marbre blanc.

Un jour, tes désirs succéderont aux songes sournois
Quand viendra à toi la folle femme désirable
Belle louve à vulve saignante, maîtresse lamproie
Qui appliquera sur ta plaie ses lèvres ventouses.

Un jour, tu disparaîtras dans quelques vaines .....migrations
Poitrine entrouverte sur les battements glauques
S’envoleront de ta cage des oiseaux tout plein de

.....cris
En l’instant léchés plumes et becs par la femme      .....chimère.

Un jour, quand tu n’effrayeras plus par ta fureur de .....vivre
Tu emporteras la femme très loin de ce monde      .....mesquin
Dans une sphère lumineuse sans sinistres sanglots
Boule de cristal remplie d’aurores aux milles réveils.

Pierre Rousseau, Échancrures, 1995.
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vendredi 12 février 2016

Mon œil solitaire

Quand je serai vieux,
L’horizon ne m’éblouira plus.
Je reviendrai à la maison
Retrouver les meubles et l’odeur.
La lumière n’y sera pas sans beauté.

Je garderai la maison
Je n’en sortirai plus.
Mes amis m’y rejoindront,
S’ils se reconnaissent dans mon œil solitaire.

À partir de ce jour
Mon regard ne sera plus que pour eux.
Ils savent mon adresse et ma chance.
Ma maison ne sera plus une place forte
Où je me défendais contre moi-même.

Las, j’abandonnerai les frontières
     aux délateurs et aux traîtres.
Ma maison sera une maisonnée.

Pierre Rousseau. Les fillettes du roi, Guérin Éditeur, 1998.
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