lundi 22 février 2016

Nœuds de cristal

Heureux,
Nous rachetons à vil prix
La brillance des nuits noires,
Hachures racines
Dans le creux de nos cous,
Jarretelles autour des nues
Enflammées d’astres.

Heureux,
Nous cisaillons le plomb
Des lourdes neiges,
Bataillons loufoques
Dans l’immensité de l’univers.

Heureux,
Nous nacrons le fer des rais-de-cœur
En jaspe sanguin
Dans la clarté des regards
Des milles et une nuit.

Heureux,
Nous soufflons sur le ventre
De l’enfant blond
Qui rie aux éclats
Sur l’édredon de feuillage
D’automne bronze.

Alors que les nœuds de cristal
     Se
     Défont
     Dans
     La
     Chaleur
     Des
     Jaspes
     Noirs,
Sur le rebord des fenêtres,
Nous respirons les corps parfums
De la nuit maternante.

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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vendredi 19 février 2016

Sous le linceul des paupières

Un ventre se dénude
Sur les aquarelles laiteuses,
Nombril-de-Vénus
Entre les raies de grossesse,
À venir enfanter l’aimer d’amour,
Pour toujours,
Et encore,
Toute espérance.

Il fait tiède entre les seins...
Une voix dit « Je t’aime ».
Qu’entendre de plus ?

D’instinct,
Le crâne de la ville éclate,
Un chat miaule,
Les oiseaux s’envolent.

Alors,
Tout s’éclaire
Sous le linceul des paupières.

Pierre Rousseau, Poèmes de nuit, 2003.
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mercredi 17 février 2016

Dureté sous chair

Il tombe des quartiers d’oranges
Dans l’haleine du printemps,
Couleur précieuse des beautés perdues
En quelques épreuves
Cramponnées à nos penchants.

En obscènes gestes maladroits
Nous palpons le vivant.
Le bout de nos doigts
     font
     de     petites     ombres     périssables
Sur les chairs clair-de-lune.

À même le règne animal,
Les bêtes frémissantes soufflent du blanc
Et les belles créatures tremblent
De toute leur carcasse.

Les caresses sont,
     avant tout,
          mouvements d’os.


Pierre Rousseau. Sur le dos de la nuit, 2005.
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dimanche 14 février 2016

Desmode

Un jour, tu arriveras à la lunaison des loups-garous
Le cœur ouvert à l’opération maligne du temps
Toussotements et rires s’entremêleront confus
Dans les plaies béantes de tes amours mortes.

Un jour, ton sang giclera de tes pores orifices
Ta bonté dévorera les hurlements dormeurs
Murmures et grognements fusionneront,
Maléfices dans tes rêves et yeux de marbre blanc.

Un jour, tes désirs succéderont aux songes sournois
Quand viendra à toi la folle femme désirable
Belle louve à vulve saignante, maîtresse lamproie
Qui appliquera sur ta plaie ses lèvres ventouses.

Un jour, tu disparaîtras dans quelques vaines .....migrations
Poitrine entrouverte sur les battements glauques
S’envoleront de ta cage des oiseaux tout plein de

.....cris
En l’instant léchés plumes et becs par la femme      .....chimère.

Un jour, quand tu n’effrayeras plus par ta fureur de .....vivre
Tu emporteras la femme très loin de ce monde      .....mesquin
Dans une sphère lumineuse sans sinistres sanglots
Boule de cristal remplie d’aurores aux milles réveils.

Pierre Rousseau, Échancrures, 1995.
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vendredi 12 février 2016

Mon œil solitaire

Quand je serai vieux,
L’horizon ne m’éblouira plus.
Je reviendrai à la maison
Retrouver les meubles et l’odeur.
La lumière n’y sera pas sans beauté.

Je garderai la maison
Je n’en sortirai plus.
Mes amis m’y rejoindront,
S’ils se reconnaissent dans mon œil solitaire.

À partir de ce jour
Mon regard ne sera plus que pour eux.
Ils savent mon adresse et ma chance.
Ma maison ne sera plus une place forte
Où je me défendais contre moi-même.

Las, j’abandonnerai les frontières
     aux délateurs et aux traîtres.
Ma maison sera une maisonnée.

Pierre Rousseau. Les fillettes du roi, Guérin Éditeur, 1998.
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jeudi 11 février 2016

Yeux précaires

Les nuits noires d’étoiles,
     En citadins bâtisseurs,
Nous fripons la matière dure
     Au bout des seins
Des vierges matins à venir.

Dans nos têtes lentes,
Nous bâtissons des cathédrales où
     Nulle jouissance
     Nul amour diamant
Ne pénètrent.

Nous jouons à faire semblant
Que le monde
Ne sera plus jamais pareil,
Tel que convoité
En façon et manière.

Blottis entre l’eau et les fruits,
Nous craignons l’avenir
Comme on craint la soif.

Silencieux,
Indifférents aux mille ardeurs
     Des patients artisans,
Nous fermons nos yeux.
Des gouffres s’ouvrent
    Sous nos iris,
Immenses alvéoles noires
                Avaleuses de rêves.

Nous ne sommes pas
    À la hauteur
Des précaires bénéfices
«Quand l’engoulevent,
Ivre de conquêtes,
La gueule grande ouverte,
Avale
        L’espace
        Et l’air du temps»
Entre nos mains inertes.

Pierre Rousseau. Sur le dos de la nuit, 2005.

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mercredi 10 février 2016

Corps empesés

Les poulies grincent
     dans la nuit ouverte aux fleurs closes.

Toute parcourue de mauvais sorts
La voisine
appelle son chat noir.

Les vêtements s’enfilent sur la corde à linge.
Rien que du blanc
     à succulence de résurrection.
Reddition des corps,
Fantômes dénudés attendant l’aurore
     pour revêtir l’image 
     qu’ils se font d’eux-mêmes,
Ennoblis par la clarté des vestiges.

Les gens pressés se pressent
     contre eux-mêmes.
Battent leur oreiller
     comme on bat le chemin
Et plantent leur sommeil
     dans les grands ravages.

Pierre Rousseau. Sur le dos de la nuit, 2005.

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mardi 9 février 2016

Aux anges

Raphaël fouille dans les vidanges,
Collectionne les verrues 
     et les pois de senteur.
Préfère trouver plus qu’acheter
     ou recevoir en cadeau.

Raphaël mange les restants
     aux terrasses des cafés,
Enfourne les débris dans ses poches
Ou dans des gobelets de carton,
Se contente du trop-plein des énormités.

Le monde fuit Raphaël,
Lui crache dessus,
L’envoient chier,
Avec des mots crus
Qui ne nourrissent personne.

Raphaël est paré
Contre les insultes,
     des riches,
     des intelligents,
     des charmants,
     des célèbres,
     des plus-que-parfaits,
quand il ferme à double tour
     ses belles jalousies.

Depuis longtemps,
Raphaël drague les bas-fonds
En faisant la fête,
Mais mille joies ne font pas souvent
     un bonheur.

Raphaël tend son bras
     comme une arbalète.
Les sous tombent dans le creux
     de sa tuque.
Il fait merci en bougeant la tête,
Comme le petit ange de plâtre bleu
     de ses jeunes années,
Alors qu’il rêvait de devenir nautonier,
Pour accoster l’humain
     dans ses plus beaux parages.

N’empêche, la vie essouffle Raphaël
     et le saoule.
Il se laisse déchoir
     dans le lit,
     sur le banc vert,
     dans l’herbe jaune,
Ou sur la baveuse bouche d’égout,
En ballottant ses bras,
Comme un petit ange balourd
     tombé dans la neige.
Raphaël laisse sa marque
Qui sent mauvais
Et qui noircit l’espace et le temps.

Pendant que les notaires notent,
     que les mamans maternent,
     que les politiciens policent,
Chacun à sa place,
Raphaël est heureux de sa liberté.

Puis, dans une poubelle,
Raphaël trouve un doigt d’enfant,
Avec, au bout, une goutte de sang,
Dure comme un grenat.

Ce jour-là, les nuages passaient 
     entre les gratte-ciel
Et les passants le regardaient
     plus que de coutume.

Pierre Rousseau. Les beaux naufrages, 2004.
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dimanche 7 février 2016

La méchante

J’ouvre mes yeux,
Comme on ouvre un ventre.
Le soleil éclaire mes renflements
     sous la couverture rose,
Plus rose que les mamelons
     d’une fille pâle.

Je m’étire.
Ma colonne vertébrale craque,
     De tout son long,
Un pétillement d’os,
Un écrasement d’insecte.

Dans la garde-robe,
La Mort agite ses dix milles doigts,
Fait craquer ses jointures
     une 
     par 
     une.

« Tu fais exprès, hein ? »

Elle ne répond pas.
Elle est quelques fois méchante,
Comme un enfant qui s’ennuie.

Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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samedi 6 février 2016

Le noir sort

Je ne peux réparer le temps
Comme je ne peux réparer 
     la vague brisée.

Le temps me bat
     À me faire mal.
Qui entend mes cris ?

Mes pas martèlent
les pavés
Au lieu de les lancer
dans la vitrine.

Mes yeux sont battus
     Comme la terre.
Mon regard ne me mène pas
toujours
     Où je veux.

Sournois, le temps mêle
les cartes.
     Le noir sort.
     Je coupe.

 
Pierre Rousseau, Les fillettes du roi, Guérin Éditeur, 1998.
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vendredi 5 février 2016

La bête de somme

La fenêtre est ouverte.
On entend les soupirs de la bête,
De longs sifflements intermittents
Qui viennent de loin,
Du centre de la Terre,
Comme si la ville respirait
Par ses grands naseaux.

La clarté de l’aube hésite
À percer
La brume matinale,
Ça fait un voile lumineux,
Un linceul léger
Comme une haleine d’hiver.

La bête s’essouffle enfin,
Le rideau bouge,
La flamme vacille.

Le sommeil est archange.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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jeudi 4 février 2016

Rêve égothique

Un bandeau sur les yeux,
Un bras cassé,
Mordu jusqu’au sang,
La peur de l’obscurité,
La pleine lune,
Les candélabres
Un éclat sur une lèvre,
Des lueurs à venir
Dans les quintefeuilles
...des onze mille vierges.

En pleine nuit,
Les tambours résonnent,
Les coqs de clocher hurlent,
Les tailleurs de pierres frappent.

Peu à peu,
Le noir s’évapore
Dans la blancheur de la peau.

Puis, ce silence,
Ce grand silence
...dans mon rêve.

Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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mercredi 3 février 2016

La grande creuseuse

Elle hésite à finir sa phrase.
Elle attend.
Du bout de sa langue,
Elle touche chacune de ses dents,
Surtout celle qui est brisée.
Elle se coupe,
Sa bouche s’emplit de sang.
Alors, elle me menace : « Tu vas mourir ».

Elle crache dans mes mains.
Je me remets aussitôt à l’ouvrage.
Je creuse, je creuse,
Toujours au même endroit,
Comme si je cherchais un trésor.

Quand le trou sera assez profond,
Elle m’y jettera… la Mort.

Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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mardi 2 février 2016

Saveur du large

Hier encore, petit enfant confit,
.....je regardais par la fenêtre fermée.
J’avais le goût de partir.
Il me manquait la saveur du large.
Le vent ne pénètre jamais la matière cristalline.

Mes pensées ne savaient pas encore l’adulte
.....et la dureté des hommes.
Désespéré devant mon irréparable naissance,
.....mon ombre noircissait le chemin vivant.
Poète maudit, je m’évadais par la porte
.....entrouverte.
Mais, l’ombre de mon corps fragile
.....prenait quelque retard,
.....me tirait en arrière.

Je tendais mon esprit
.....vers un autre lieu,
.....mais je restais là.
J’avais peur.
Mes préjugés futiles faisaient en sorte
.....que les hommes
.....ne devaient pas compter
.....sur ma venue.

N’étais-je destiné qu’à moi-même ?


Pierre Rousseau, Les fillettes du roi, Guérin Éditeur, 1998.
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lundi 1 février 2016

Gestes sots

Dans la mince nuit s’effritent nos rêves fous,
Ruissellent les laques noires des soleils colossaux,
S’éteignent les gestes affolants
     qui émoussent les sens.

Notre bonheur est l’envers du bonheur,
Hâtif à donner l’heure juste
     à tous les pauvres d’esprit.

La petitesse est éternelle comme les mensonges.

Le lit défait le restera jusqu’au matin,
Jusqu’au fruit défendu.

Dans la mince nuit s’effritent nos rêves fous
Sous les tambours battants
     des héroïques imbéciles. 

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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