mardi 9 février 2016

Aux anges

Raphaël fouille dans les vidanges,
Collectionne les verrues 
     et les pois de senteur.
Préfère trouver plus qu’acheter
     ou recevoir en cadeau.

Raphaël mange les restants
     aux terrasses des cafés,
Enfourne les débris dans ses poches
Ou dans des gobelets de carton,
Se contente du trop-plein des énormités.

Le monde fuit Raphaël,
Lui crache dessus,
L’envoient chier,
Avec des mots crus
Qui ne nourrissent personne.

Raphaël est paré
Contre les insultes,
     des riches,
     des intelligents,
     des charmants,
     des célèbres,
     des plus-que-parfaits,
quand il ferme à double tour
     ses belles jalousies.

Depuis longtemps,
Raphaël drague les bas-fonds
En faisant la fête,
Mais mille joies ne font pas souvent
     un bonheur.

Raphaël tend son bras
     comme une arbalète.
Les sous tombent dans le creux
     de sa tuque.
Il fait merci en bougeant la tête,
Comme le petit ange de plâtre bleu
     de ses jeunes années,
Alors qu’il rêvait de devenir nautonier,
Pour accoster l’humain
     dans ses plus beaux parages.

N’empêche, la vie essouffle Raphaël
     et le saoule.
Il se laisse déchoir
     dans le lit,
     sur le banc vert,
     dans l’herbe jaune,
Ou sur la baveuse bouche d’égout,
En ballottant ses bras,
Comme un petit ange balourd
     tombé dans la neige.
Raphaël laisse sa marque
Qui sent mauvais
Et qui noircit l’espace et le temps.

Pendant que les notaires notent,
     que les mamans maternent,
     que les politiciens policent,
Chacun à sa place,
Raphaël est heureux de sa liberté.

Puis, dans une poubelle,
Raphaël trouve un doigt d’enfant,
Avec, au bout, une goutte de sang,
Dure comme un grenat.

Ce jour-là, les nuages passaient 
     entre les gratte-ciel
Et les passants le regardaient
     plus que de coutume.

Pierre Rousseau. Les beaux naufrages, 2004.
___________________________________________________

Aucun commentaire:

Publier un commentaire