jeudi 10 mars 2016

Comme une algue sur une épave

Tu t’es endormie
….sur moi
De tout ton long
Étirée, moulée
Comme une algue
….sur une épave.
Un filet de salive
Frais comme la rosée
….coule
….sur mon épaule
Tu t’abandonnes
Corps et âme.
Tu m’aimes
C’est certain
Pour déserter la vie
Un si long moment
Et jeter l’ancre
….sur mon corps
Toi, mon escale.

Tu m’aimes
En tout lieu
Ici ou ailleurs
En terre ou étoile.
Pas de conquête
Ni de long chemin
Nul refuge
Nul terrier rouge
Pas de trésors
Enfouis
Oubliés
Dans quelque caverne
Ou abysse.
Tu es champ de fleurs
Je te cueille
À mon désir
Et te garde
Toute pour moi
Pour te nourrir
À même la sève
Qui coule
En rafale
Dans mes veines
Toi, mon aurore.

Tu m’aimes
La nuit venue
Sans flambeau
Ni candélabre
Sans ombre
Ni contraste
Dans l’opacité
De ta silhouette
C’est toujours ça de pris
Dans cette vie
Si mesquine
….en caresses.
Mon bonheur s’accroche
Fermement
Au lustre des étoiles
Offertes en garantie.
C’est l’espoir d’un matin
Nouveau départ
Pour me refaire
Plus beau
Plus grand
Dans le rêve
Le songe
Dans ton désir
Toi, ma fée.

Tu m’aimes
En rêves légers
Dans ton sommeil
Silencieux
Profond comme un plaisir.
Lentement
Je chavire
….sur le dos
….….ton corps
Lourd de lassitude
Délicat passage
Où je t’éloigne
De mon corps.
Ne te réveille surtout pas
Ne sombre pas non plus
….ailleurs
Dans quelque mer
….intérieure
Toi, ma fenêtre.

Tu m’aimes
Par tes ouvertures
Tantôt étales

Bien fermées.
Sans défense
Contre personne
Méfiance des autres
Peut-être
La crainte des petits doutes
Et un soupçon de peur
Dans les viscères.
Mon ventre est noué
Tel l’animal
Qui te regarde
De loin
En secret.
Tu ne penses pas à moi
L’inexistant.
Une autre déception
Je boude
Inutile sursaut
Quand on est seul
À le savoir
Toi, ma jouissance.

Tu m’aimes
À en jouir
Goulûment
Écoutes chaque mot
Que je dis
Ils parlent d’amour
Et de désarroi.
Tes yeux se sont fermés
….au délire.
Je glisse mon doigt
….sur ta nuque
Ton front se plisse
Gémissements menus
Pleurs vains de la fillette
D’un autre âge.
Point de chagrin
Ça n’en vaut pas la peine.
N’empêche
Je me suis délesté
D’une bien belle cargaison
Toi, ma lumière.

Tu m’aimes
À contre-jour
Quand mon cœur fait replis
Dans la pénombre
….du paradoxe
Tu m’aimes
Je t’aime
Et pourtant
Je suis malheureux
Assidûment
Au bord des larmes
Adolescent timide
Comme ce frêle rayon
….de lune
Tassé honteusement
….dans l’encoignure.
La ville geint
L’air crécelle
En douce
Le rideau bouge
Une griffe l’agite
La patte ravisseuse
….de bonheur
Toi, mon frisson.

Tu m’aimes
Dans mon fort intérieur
Dans mon moi profond
Intime.
Je ferme la fenêtre
Pour retrouver
Douceur et calme
Et tes alentours.
Étrange angoisse
Dans ma tête lourde
Tourment malvenu
Tel un glaive brûlant
Dans la tiédeur
….du petit jour.
Je tourne en rond
Pour m’étourdir
Et oublier
M’oublier
Sauter les heures.
Tu dors toujours
À contre-courant
Du malheur
….qui m’assaille
Encore
Toi, ma vision.

Tu m’aimes
Dans mes idées confuses
Plus obscures et exiguës
….qu’un cachot.
Je m’assois à la table
….de la cuisine
Ne rien faire d’autre qu’écrire
Concasser le noir sur le blanc
Poignarder les maigres lettres
Marteler la tôle des mots
Écraser les pattes
….du A
Cabosser le point
….sur le i d’Aimer
Fuir la foule
Me replier sur moi-même
Comme le e
En silence
Muet
Et tendre mes bras
….vers l’inconnue
Toi, ma légende.

Tu m’aimes
Dans mes mots
Quand j’écris
À gorge déployée
Quand je hurle
De me rejeter
De ne pas m’aimer
Tel que je suis
Tel que tu me vois
À langueur de jour
Pauvre image
Cliché
Esquisse
Épreuve au mille retours
….de chariots.
Tu me liras
À l’envers des codes secrets
Tu me dépouilleras
….de ma faiblesse
Tu illumineras
….mon écriture mystère
Jusqu’à ce que je te dévoile
….ma détresse
Toi, ma vérité.

Tu m’aimes
Dans mes mensonges
Quand je donne
….mon être entier
Aux embruns de l’histoire
Quand je façonne des poèmes
Pour dire non
….aux faux-semblants.
Poémiser toujours
Encore,
Sur la même page
Blanche morte
Jeter les mots
….entre deux vides
Celui de mon cœur
Celui de ma tête.
Mon poème est véridique
Mais voûté
….comme une trahison
Toi, ma tristesse.

Tu m’aimes
Dans mes pleurs
Vastes larmes
Répandues par terre
De honte
De pudeur
Qui sait.
Évidement
Mauvais sens
Affliction en ristourne
Blafarde.
Le malheur lèche
….mes derniers remords
Puis s’élève
….une odeur de chanvre
Qui disparaîtra
Au petit matin
Furtive fée
En mal d’étreintes
Chassée par l’arôme
….du café frais.
Mais tu seras
Inlassablement
Présente
Toi, ma certitude.

Tu m’aimes
Encore
Et davantage
Femme endormie
….sur le dos
Si mélodieuse
Dans ton silence.
Tes deux mains
À plat sur ta poitrine
Nue
Vaillante chasteté
En redoute
Dans la véracité
….de ta nature
Humaine.
Au réveil
Tu me doperas
….de ta sève
Vigueur
Cerises à chair molle
Lait rose suintant
….de tes mamelons
Jusqu’au tarissement
….de l’extase.
À midi
Dans l’union des aiguilles
Amantes
Quand sonnera
Enfin
L’alexandrin.
Alors
Pour toi
J’accoucherai
D’un poème noirci de lumière.

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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vendredi 4 mars 2016

Mille rubis glaçons

Certaines nuits,
Nos cœurs sont durs,
Durs de tant de dureté,
Avec, dedans,
Des âmes conceptrices
De mille rubis glaçons,
Puisés à même l’histoire écarlate
De tous les proscrits de la ville.

Nos prunelles sont remplies
     de roches
     de cailloux
     de pierres
Larmes breloques,
Hématites trahies
Par la profondeur de la nuit
Ouverte aux cernes sanguins.

Nos regards récifs se portent sur
     les gens
     les choses
     les lâchetés.
Nos mirages passent outre
     l'eau
     le feu
     le vent
     la terre
     l’orgasme.

Toute la nuit,
Les oisillons picorent
     les miettes du jour
Sous leurs coquilles lisses.
Et nous... et nous,
Si tendres enfants d’hier...

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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lundi 22 février 2016

Nœuds de cristal

Heureux,
Nous rachetons à vil prix
La brillance des nuits noires,
Hachures racines
Dans le creux de nos cous,
Jarretelles autour des nues
Enflammées d’astres.

Heureux,
Nous cisaillons le plomb
Des lourdes neiges,
Bataillons loufoques
Dans l’immensité de l’univers.

Heureux,
Nous nacrons le fer des rais-de-cœur
En jaspe sanguin
Dans la clarté des regards
Des milles et une nuit.

Heureux,
Nous soufflons sur le ventre
De l’enfant blond
Qui rie aux éclats
Sur l’édredon de feuillage
D’automne bronze.

Alors que les nœuds de cristal
     Se
     Défont
     Dans
     La
     Chaleur
     Des
     Jaspes
     Noirs,
Sur le rebord des fenêtres,
Nous respirons les corps parfums
De la nuit maternante.

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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vendredi 19 février 2016

Sous le linceul des paupières

Un ventre se dénude
Sur les aquarelles laiteuses,
Nombril-de-Vénus
Entre les raies de grossesse,
À venir enfanter l’aimer d’amour,
Pour toujours,
Et encore,
Toute espérance.

Il fait tiède entre les seins...
Une voix dit « Je t’aime ».
Qu’entendre de plus ?

D’instinct,
Le crâne de la ville éclate,
Un chat miaule,
Les oiseaux s’envolent.

Alors,
Tout s’éclaire
Sous le linceul des paupières.

Pierre Rousseau, Poèmes de nuit, 2003.
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mercredi 17 février 2016

Dureté sous chair

Il tombe des quartiers d’oranges
Dans l’haleine du printemps,
Couleur précieuse des beautés perdues
En quelques épreuves
Cramponnées à nos penchants.

En obscènes gestes maladroits
Nous palpons le vivant.
Le bout de nos doigts
     font
     de     petites     ombres     périssables
Sur les chairs clair-de-lune.

À même le règne animal,
Les bêtes frémissantes soufflent du blanc
Et les belles créatures tremblent
De toute leur carcasse.

Les caresses sont,
     avant tout,
          mouvements d’os.


Pierre Rousseau. Sur le dos de la nuit, 2005.
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dimanche 14 février 2016

Desmode

Un jour, tu arriveras à la lunaison des loups-garous
Le cœur ouvert à l’opération maligne du temps
Toussotements et rires s’entremêleront confus
Dans les plaies béantes de tes amours mortes.

Un jour, ton sang giclera de tes pores orifices
Ta bonté dévorera les hurlements dormeurs
Murmures et grognements fusionneront,
Maléfices dans tes rêves et yeux de marbre blanc.

Un jour, tes désirs succéderont aux songes sournois
Quand viendra à toi la folle femme désirable
Belle louve à vulve saignante, maîtresse lamproie
Qui appliquera sur ta plaie ses lèvres ventouses.

Un jour, tu disparaîtras dans quelques vaines .....migrations
Poitrine entrouverte sur les battements glauques
S’envoleront de ta cage des oiseaux tout plein de

.....cris
En l’instant léchés plumes et becs par la femme      .....chimère.

Un jour, quand tu n’effrayeras plus par ta fureur de .....vivre
Tu emporteras la femme très loin de ce monde      .....mesquin
Dans une sphère lumineuse sans sinistres sanglots
Boule de cristal remplie d’aurores aux milles réveils.

Pierre Rousseau, Échancrures, 1995.
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vendredi 12 février 2016

Mon œil solitaire

Quand je serai vieux,
L’horizon ne m’éblouira plus.
Je reviendrai à la maison
Retrouver les meubles et l’odeur.
La lumière n’y sera pas sans beauté.

Je garderai la maison
Je n’en sortirai plus.
Mes amis m’y rejoindront,
S’ils se reconnaissent dans mon œil solitaire.

À partir de ce jour
Mon regard ne sera plus que pour eux.
Ils savent mon adresse et ma chance.
Ma maison ne sera plus une place forte
Où je me défendais contre moi-même.

Las, j’abandonnerai les frontières
     aux délateurs et aux traîtres.
Ma maison sera une maisonnée.

Pierre Rousseau. Les fillettes du roi, Guérin Éditeur, 1998.
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jeudi 11 février 2016

Yeux précaires

Les nuits noires d’étoiles,
     En citadins bâtisseurs,
Nous fripons la matière dure
     Au bout des seins
Des vierges matins à venir.

Dans nos têtes lentes,
Nous bâtissons des cathédrales où
     Nulle jouissance
     Nul amour diamant
Ne pénètrent.

Nous jouons à faire semblant
Que le monde
Ne sera plus jamais pareil,
Tel que convoité
En façon et manière.

Blottis entre l’eau et les fruits,
Nous craignons l’avenir
Comme on craint la soif.

Silencieux,
Indifférents aux mille ardeurs
     Des patients artisans,
Nous fermons nos yeux.
Des gouffres s’ouvrent
    Sous nos iris,
Immenses alvéoles noires
                Avaleuses de rêves.

Nous ne sommes pas
    À la hauteur
Des précaires bénéfices
«Quand l’engoulevent,
Ivre de conquêtes,
La gueule grande ouverte,
Avale
        L’espace
        Et l’air du temps»
Entre nos mains inertes.

Pierre Rousseau. Sur le dos de la nuit, 2005.

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mercredi 10 février 2016

Corps empesés

Les poulies grincent
     dans la nuit ouverte aux fleurs closes.

Toute parcourue de mauvais sorts
La voisine
appelle son chat noir.

Les vêtements s’enfilent sur la corde à linge.
Rien que du blanc
     à succulence de résurrection.
Reddition des corps,
Fantômes dénudés attendant l’aurore
     pour revêtir l’image 
     qu’ils se font d’eux-mêmes,
Ennoblis par la clarté des vestiges.

Les gens pressés se pressent
     contre eux-mêmes.
Battent leur oreiller
     comme on bat le chemin
Et plantent leur sommeil
     dans les grands ravages.

Pierre Rousseau. Sur le dos de la nuit, 2005.

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mardi 9 février 2016

Aux anges

Raphaël fouille dans les vidanges,
Collectionne les verrues 
     et les pois de senteur.
Préfère trouver plus qu’acheter
     ou recevoir en cadeau.

Raphaël mange les restants
     aux terrasses des cafés,
Enfourne les débris dans ses poches
Ou dans des gobelets de carton,
Se contente du trop-plein des énormités.

Le monde fuit Raphaël,
Lui crache dessus,
L’envoient chier,
Avec des mots crus
Qui ne nourrissent personne.

Raphaël est paré
Contre les insultes,
     des riches,
     des intelligents,
     des charmants,
     des célèbres,
     des plus-que-parfaits,
quand il ferme à double tour
     ses belles jalousies.

Depuis longtemps,
Raphaël drague les bas-fonds
En faisant la fête,
Mais mille joies ne font pas souvent
     un bonheur.

Raphaël tend son bras
     comme une arbalète.
Les sous tombent dans le creux
     de sa tuque.
Il fait merci en bougeant la tête,
Comme le petit ange de plâtre bleu
     de ses jeunes années,
Alors qu’il rêvait de devenir nautonier,
Pour accoster l’humain
     dans ses plus beaux parages.

N’empêche, la vie essouffle Raphaël
     et le saoule.
Il se laisse déchoir
     dans le lit,
     sur le banc vert,
     dans l’herbe jaune,
Ou sur la baveuse bouche d’égout,
En ballottant ses bras,
Comme un petit ange balourd
     tombé dans la neige.
Raphaël laisse sa marque
Qui sent mauvais
Et qui noircit l’espace et le temps.

Pendant que les notaires notent,
     que les mamans maternent,
     que les politiciens policent,
Chacun à sa place,
Raphaël est heureux de sa liberté.

Puis, dans une poubelle,
Raphaël trouve un doigt d’enfant,
Avec, au bout, une goutte de sang,
Dure comme un grenat.

Ce jour-là, les nuages passaient 
     entre les gratte-ciel
Et les passants le regardaient
     plus que de coutume.

Pierre Rousseau. Les beaux naufrages, 2004.
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dimanche 7 février 2016

La méchante

J’ouvre mes yeux,
Comme on ouvre un ventre.
Le soleil éclaire mes renflements
     sous la couverture rose,
Plus rose que les mamelons
     d’une fille pâle.

Je m’étire.
Ma colonne vertébrale craque,
     De tout son long,
Un pétillement d’os,
Un écrasement d’insecte.

Dans la garde-robe,
La Mort agite ses dix milles doigts,
Fait craquer ses jointures
     une 
     par 
     une.

« Tu fais exprès, hein ? »

Elle ne répond pas.
Elle est quelques fois méchante,
Comme un enfant qui s’ennuie.

Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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samedi 6 février 2016

Le noir sort

Je ne peux réparer le temps
Comme je ne peux réparer 
     la vague brisée.

Le temps me bat
     À me faire mal.
Qui entend mes cris ?

Mes pas martèlent
les pavés
Au lieu de les lancer
dans la vitrine.

Mes yeux sont battus
     Comme la terre.
Mon regard ne me mène pas
toujours
     Où je veux.

Sournois, le temps mêle
les cartes.
     Le noir sort.
     Je coupe.

 
Pierre Rousseau, Les fillettes du roi, Guérin Éditeur, 1998.
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vendredi 5 février 2016

La bête de somme

La fenêtre est ouverte.
On entend les soupirs de la bête,
De longs sifflements intermittents
Qui viennent de loin,
Du centre de la Terre,
Comme si la ville respirait
Par ses grands naseaux.

La clarté de l’aube hésite
À percer
La brume matinale,
Ça fait un voile lumineux,
Un linceul léger
Comme une haleine d’hiver.

La bête s’essouffle enfin,
Le rideau bouge,
La flamme vacille.

Le sommeil est archange.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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jeudi 4 février 2016

Rêve égothique

Un bandeau sur les yeux,
Un bras cassé,
Mordu jusqu’au sang,
La peur de l’obscurité,
La pleine lune,
Les candélabres
Un éclat sur une lèvre,
Des lueurs à venir
Dans les quintefeuilles
...des onze mille vierges.

En pleine nuit,
Les tambours résonnent,
Les coqs de clocher hurlent,
Les tailleurs de pierres frappent.

Peu à peu,
Le noir s’évapore
Dans la blancheur de la peau.

Puis, ce silence,
Ce grand silence
...dans mon rêve.

Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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mercredi 3 février 2016

La grande creuseuse

Elle hésite à finir sa phrase.
Elle attend.
Du bout de sa langue,
Elle touche chacune de ses dents,
Surtout celle qui est brisée.
Elle se coupe,
Sa bouche s’emplit de sang.
Alors, elle me menace : « Tu vas mourir ».

Elle crache dans mes mains.
Je me remets aussitôt à l’ouvrage.
Je creuse, je creuse,
Toujours au même endroit,
Comme si je cherchais un trésor.

Quand le trou sera assez profond,
Elle m’y jettera… la Mort.

Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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mardi 2 février 2016

Saveur du large

Hier encore, petit enfant confit,
.....je regardais par la fenêtre fermée.
J’avais le goût de partir.
Il me manquait la saveur du large.
Le vent ne pénètre jamais la matière cristalline.

Mes pensées ne savaient pas encore l’adulte
.....et la dureté des hommes.
Désespéré devant mon irréparable naissance,
.....mon ombre noircissait le chemin vivant.
Poète maudit, je m’évadais par la porte
.....entrouverte.
Mais, l’ombre de mon corps fragile
.....prenait quelque retard,
.....me tirait en arrière.

Je tendais mon esprit
.....vers un autre lieu,
.....mais je restais là.
J’avais peur.
Mes préjugés futiles faisaient en sorte
.....que les hommes
.....ne devaient pas compter
.....sur ma venue.

N’étais-je destiné qu’à moi-même ?


Pierre Rousseau, Les fillettes du roi, Guérin Éditeur, 1998.
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lundi 1 février 2016

Gestes sots

Dans la mince nuit s’effritent nos rêves fous,
Ruissellent les laques noires des soleils colossaux,
S’éteignent les gestes affolants
     qui émoussent les sens.

Notre bonheur est l’envers du bonheur,
Hâtif à donner l’heure juste
     à tous les pauvres d’esprit.

La petitesse est éternelle comme les mensonges.

Le lit défait le restera jusqu’au matin,
Jusqu’au fruit défendu.

Dans la mince nuit s’effritent nos rêves fous
Sous les tambours battants
     des héroïques imbéciles. 

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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dimanche 31 janvier 2016

Renouveau

Dans la ville nue,
Les lampadaires s’éteignent,
Fermeture œils sur le rebord des trottoirs échiffés
Comme les membres ruisselant

     de semence de perles.

Nous nous blasons du banal quotidien,
Nous nous délestons de courage et de cœur.
Nous ne voyons plus que l’envers

     des cuisses fermes,
Sous les images coquilles au premier plan

     débusquées dans nos indociles mémoires.

Dans l’antre frison de l’autre,
Ouverture feuille séchée de braise,
Nous nous délions à nouveau du renouveau.

Puis nous éteignons la lampe de chevet,
     comme on ferme un œil.
Et nous nous refermons...
Pour mieux nous ouvrir en corps et conscience
     dans les cœurs débraillés.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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samedi 30 janvier 2016

Cérébralisme

Déjà fous dans nos carrés de nuit,
Fermés à nous-mêmes
....dans la peau des ententes,
Tacites rébellions des neurones inachevés.

Déjà fous dans nos plaies cicatrisées
....des meilleurs labeurs
Remis à demain pour la bonne cause.

Déjà fous à notre naissance,
Toujours aussi fous, peut-être, la mort venue,
Et, entre les deux, un pardon oublié
....dans la blessure du ventre.

Dix mille mauvaises folies restent à venir,
Avant que la hideur ne voit l’aurore
....chargée de tant de lumière. 

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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vendredi 29 janvier 2016

Poignet de laine

Il nous faudrait saisir le poignet de la Mort,
Cette mal-aimée,
Pour la retenir,
Comme le câble le navire
.....échoué,
Pour rien, pour voir,
Espérer un trésor dans les décombres
.....de tant de malentendus.

Il nous faudrait saisir son poignet d’une main,
Et de l’autre,
caresser sa joue,
     Une fois,
     Deux fois
     Trois fois...

Nous ne sommes pas à la hauteur
Quand la Mort,
     Ivre de conquêtes,
     La gueule grande ouverte,
Avale l’espace et l’air du temps
Entre les saules pleureurs

     penchés sur l’eau miroitante
Où patinent, légères,

     les frivoles nèpes carnivores. 

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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jeudi 28 janvier 2016

Bio métal

Un avion passe,
Au-dessus de la ville,
Créature des profondeurs
À l’envers de la mer sidérale.

Entre nos doigts d’étrangers,
Nous déployons cartes et boussoles
Qui mènent ailleurs, trop vite,
Dans des villes grises
En grappe dense à saisir.

Voyageurs attardés
Sur les cités conquises,
Nous refaisons le silence
Dans la nuit américaine,
Cheveux au vent,
Gestes naufragés,
Avant que l’amour quotidien
En fine neige bleue,
Ne vienne délier nos sens
Si sensibles aux fantasmes. 

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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mercredi 27 janvier 2016

Chair carnation

Au jardin des vices,
Nous annonçons le rire
Dans nos chairs vives
Baignant dans leur sang.

Sous nos peaux nuits
Couru de mille délices
Se défont nos rêves
Puisés à même les nobles espérances.

Nos yeux sont bleus,
Et rouges au-dessus
Et violets par en dessous,
Tout mêlés.

Dans le silence enserré
Entre nos côtes,
Nulle intonation ne dévoile
Les replis intimes de nos corps offerts.

Pas d’hésitation.
Pas de tremblements.
Pas de frémissements.

Nous annonçons le rire
Mais nos corps ne jouissent plus.

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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mardi 26 janvier 2016

Sous la jupe

Il est minuit moins dix.

Sur la rue Saint-Denis,
Une jeune fille,
Tête haute, cheveux au vent,
Va, d’un pas alerte, sautillante,
Débusquer l’horizon
Du prochain coin de rue.
Attachée à son baluchon,
Une petite vache en peluche
Bat les prés
De son dos.

Une main se pose
sur un genou.

Les moustaches d’un chat
Traversant la nuit
Frôlent le mur,
Comme les doigts,
La cuisse,
Sous la jupe.

Les frissons prennent,
Encore une fois,
Odeur de passion.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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lundi 25 janvier 2016

Plaisir en sus


La fille se retient longtemps d’espérer,
Attend le moment présent, fabuleux
De son plaisir croissant en fine dentelle
Souffle court dans l’orgasme glissant.

La fille se retient longtemps de se laisser aller
Plaisir en sus des gestes rudes sur sa chair lasse
Tout à coup fuyante dans sa bouffée délire
En quête du masque qui la fera autre, ailleurs.

La fille se retient longtemps de crier,
Dans le scintillement des toits de tôle grise
Où nichent hiboux hagards et brebis galeuses
Sans pouvoir discerner la déchéance du rêve.

La fille se retient longtemps de jouir
Se pend sans retenue au cul des âmes
Puis moissonne l’orgasme libérateur
Seul bonheur à s’étaler en elle corps et âme.

La fille se retient longtemps de rire
De la mort qui serre son cou offert
Restant de jouissure, contentement clair
Bille roulante sur la courbe de son sein.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005. 
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dimanche 24 janvier 2016

Ramonage

Pendant que la lune s’ensanglante
     au-dessus d’une ville à coucher dehors ;
Pendant que, sur les toits plats, des moineaux

     s’ébrouent 
     dans des flaques d’eau noire ;
Pendant que la gravelle griche
 

     dans la tête immergée des sceptiques,
Le pain frais macère au fond des poubelles,
Essence nourriture sur la langue des somnambules.

Certaines nuits encochées d’énigmes,
Étendus au beau milieu de la rassurante réhabitude,
Les riches recherchent à rires abattus,
     
dans les chambres spacieuses, 

      dans les bistrots chics,
     
dans les galas pompeux,
La pleine certitude d’être bons

     et fermes amants de la vie.

Certaines nuits entaillées d’équivoques,
Alités au beau milieu de la dulcifiante réhabitude,
Mouillés d’une sueur ramoneuse de pauvreté,
Les démunis prolongent leur encombrement
 

     dans les chambrettes délabrées,
     
dans les tavernes enfumées, 

     dans les foultitudes bruyantes,
À contrechamp sur l’échiquier des enlaçures.

Pendant que la lune caille

     au-dessus d’une ville à coucher dehors,
Les mal-aimés se mirent dans les miroirs tréfonds,
Tout égratignés au beau milieu d’eux-mêmes.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005
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