dimanche 31 janvier 2016

Renouveau

Dans la ville nue,
Les lampadaires s’éteignent,
Fermeture œils sur le rebord des trottoirs échiffés
Comme les membres ruisselant

     de semence de perles.

Nous nous blasons du banal quotidien,
Nous nous délestons de courage et de cœur.
Nous ne voyons plus que l’envers

     des cuisses fermes,
Sous les images coquilles au premier plan

     débusquées dans nos indociles mémoires.

Dans l’antre frison de l’autre,
Ouverture feuille séchée de braise,
Nous nous délions à nouveau du renouveau.

Puis nous éteignons la lampe de chevet,
     comme on ferme un œil.
Et nous nous refermons...
Pour mieux nous ouvrir en corps et conscience
     dans les cœurs débraillés.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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samedi 30 janvier 2016

Cérébralisme

Déjà fous dans nos carrés de nuit,
Fermés à nous-mêmes
....dans la peau des ententes,
Tacites rébellions des neurones inachevés.

Déjà fous dans nos plaies cicatrisées
....des meilleurs labeurs
Remis à demain pour la bonne cause.

Déjà fous à notre naissance,
Toujours aussi fous, peut-être, la mort venue,
Et, entre les deux, un pardon oublié
....dans la blessure du ventre.

Dix mille mauvaises folies restent à venir,
Avant que la hideur ne voit l’aurore
....chargée de tant de lumière. 

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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vendredi 29 janvier 2016

Poignet de laine

Il nous faudrait saisir le poignet de la Mort,
Cette mal-aimée,
Pour la retenir,
Comme le câble le navire
.....échoué,
Pour rien, pour voir,
Espérer un trésor dans les décombres
.....de tant de malentendus.

Il nous faudrait saisir son poignet d’une main,
Et de l’autre,
caresser sa joue,
     Une fois,
     Deux fois
     Trois fois...

Nous ne sommes pas à la hauteur
Quand la Mort,
     Ivre de conquêtes,
     La gueule grande ouverte,
Avale l’espace et l’air du temps
Entre les saules pleureurs

     penchés sur l’eau miroitante
Où patinent, légères,

     les frivoles nèpes carnivores. 

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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jeudi 28 janvier 2016

Bio métal

Un avion passe,
Au-dessus de la ville,
Créature des profondeurs
À l’envers de la mer sidérale.

Entre nos doigts d’étrangers,
Nous déployons cartes et boussoles
Qui mènent ailleurs, trop vite,
Dans des villes grises
En grappe dense à saisir.

Voyageurs attardés
Sur les cités conquises,
Nous refaisons le silence
Dans la nuit américaine,
Cheveux au vent,
Gestes naufragés,
Avant que l’amour quotidien
En fine neige bleue,
Ne vienne délier nos sens
Si sensibles aux fantasmes. 

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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mercredi 27 janvier 2016

Chair carnation

Au jardin des vices,
Nous annonçons le rire
Dans nos chairs vives
Baignant dans leur sang.

Sous nos peaux nuits
Couru de mille délices
Se défont nos rêves
Puisés à même les nobles espérances.

Nos yeux sont bleus,
Et rouges au-dessus
Et violets par en dessous,
Tout mêlés.

Dans le silence enserré
Entre nos côtes,
Nulle intonation ne dévoile
Les replis intimes de nos corps offerts.

Pas d’hésitation.
Pas de tremblements.
Pas de frémissements.

Nous annonçons le rire
Mais nos corps ne jouissent plus.

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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mardi 26 janvier 2016

Sous la jupe

Il est minuit moins dix.

Sur la rue Saint-Denis,
Une jeune fille,
Tête haute, cheveux au vent,
Va, d’un pas alerte, sautillante,
Débusquer l’horizon
Du prochain coin de rue.
Attachée à son baluchon,
Une petite vache en peluche
Bat les prés
De son dos.

Une main se pose
sur un genou.

Les moustaches d’un chat
Traversant la nuit
Frôlent le mur,
Comme les doigts,
La cuisse,
Sous la jupe.

Les frissons prennent,
Encore une fois,
Odeur de passion.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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lundi 25 janvier 2016

Plaisir en sus


La fille se retient longtemps d’espérer,
Attend le moment présent, fabuleux
De son plaisir croissant en fine dentelle
Souffle court dans l’orgasme glissant.

La fille se retient longtemps de se laisser aller
Plaisir en sus des gestes rudes sur sa chair lasse
Tout à coup fuyante dans sa bouffée délire
En quête du masque qui la fera autre, ailleurs.

La fille se retient longtemps de crier,
Dans le scintillement des toits de tôle grise
Où nichent hiboux hagards et brebis galeuses
Sans pouvoir discerner la déchéance du rêve.

La fille se retient longtemps de jouir
Se pend sans retenue au cul des âmes
Puis moissonne l’orgasme libérateur
Seul bonheur à s’étaler en elle corps et âme.

La fille se retient longtemps de rire
De la mort qui serre son cou offert
Restant de jouissure, contentement clair
Bille roulante sur la courbe de son sein.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005. 
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dimanche 24 janvier 2016

Ramonage

Pendant que la lune s’ensanglante
     au-dessus d’une ville à coucher dehors ;
Pendant que, sur les toits plats, des moineaux

     s’ébrouent 
     dans des flaques d’eau noire ;
Pendant que la gravelle griche
 

     dans la tête immergée des sceptiques,
Le pain frais macère au fond des poubelles,
Essence nourriture sur la langue des somnambules.

Certaines nuits encochées d’énigmes,
Étendus au beau milieu de la rassurante réhabitude,
Les riches recherchent à rires abattus,
     
dans les chambres spacieuses, 

      dans les bistrots chics,
     
dans les galas pompeux,
La pleine certitude d’être bons

     et fermes amants de la vie.

Certaines nuits entaillées d’équivoques,
Alités au beau milieu de la dulcifiante réhabitude,
Mouillés d’une sueur ramoneuse de pauvreté,
Les démunis prolongent leur encombrement
 

     dans les chambrettes délabrées,
     
dans les tavernes enfumées, 

     dans les foultitudes bruyantes,
À contrechamp sur l’échiquier des enlaçures.

Pendant que la lune caille

     au-dessus d’une ville à coucher dehors,
Les mal-aimés se mirent dans les miroirs tréfonds,
Tout égratignés au beau milieu d’eux-mêmes.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005
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samedi 23 janvier 2016

D’or et d’ire

Alors que,
Primitifs adultes en chapardage
 

     de friandises humaines,
Nous nous enivrons
 

     jusqu’à nous rendre bêtement heureux,
Dans la chambre d’à côté,
Un enfant tousse, discrètement,
....dans des songes bercés d’envie.

Alors que,
Sur le rebord de la fenêtre,
Un chat lave sa patte,
 

     félin minou tout en grisaille, 
     avec pelage et profil de camée,
Nous détournons l’ampleur des figurines
 

     vers l’entonnoir des citadelles de plomb.

Inexistants aux enfants sains en quête d’or,
Inexistants aux matous voraces en quête d’ires,
Nous retenons le coït des ivresses,
Jusqu’aux temps des danses neiges
 

     sur l’arc-en-ciel de la liberté.

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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vendredi 22 janvier 2016

Jouisses trompeuses

Navigateur urbain, vieux loup de ruelles
Moussaillon des grandes avenues
Capitaine ivre des rives souterraines
Rat de cave et de caveau, d’escale en escale
Je rêve de croisières et d’agréments
Da
ns les bas-fonds de la ville souricière.


Lesté de foi et de grâce au vil centre de moi
Frêle esquif gréé de larges ambitions
Je cherche le passage vers l’égout d’or
Dans ce lieu quadrillé de pavés durs
Où les pas écrasent les alentours
Dans le vaste parage du déjà-vu.

Dans la ville aux milles délestages
Au-delà des cauchemars goudronnés
Une vis éventre mes rêves en zone interdite
Mon sexe perfore l’utérus abandonné
Muraille satin du square victorieux
Afin que je naisse à la mort asphaltée.

Un jour je mettrai les voiles vers des inconnues
Voilures charnelles et brumes sanguines
Regards d’îles désertes, sauvage accueil
Surfaces vierges mal vieillies, mais terres grasses
Pour me perdre à jamais dans l’amical amour
Et renouer mes veines aux désirs des femmes.

Les yeux grands ouverts sur les murs remparts
Je mourrai bientôt dans le trépas du sommeil
Un souffle soulèvera mes paupières moites
Poteaux et lampadaires piqueront mon iris
Clochers faisant sillages dans ma prunelle
Avant l’accostage aux rives clandestines.

Par pitié pour l’homme lesté de déceptions
La femme fermera enfin mon regard cimenté
Lessivera mon cœur rempli de bitume
Puis recueillera les jus vivifiants et suaves
Nectar qui aspergeaient mes rêves d’enfants
Dans mon corps révulsé de jouisses trompeuses. 


Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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jeudi 21 janvier 2016

À tire-d'ailes

Une guêpe se pose
....sur le rebord de la tasse,
Cherche le sucre
Comme l’enfant un biscuit
 

     dans l’armoire de la cuisine.

Au bout de mes doigts,
     Le vent de ses ailes,
     Comme une caresse.

Et ton souffle léger
 

     dans mon cou… frisson...

Les yeux mi-clos,
Je regarde la nuit descendre
 

     lentement 
     dans l’encolure du bonheur.

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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mercredi 20 janvier 2016

Blues de l'Île

Le blues
Se travestit
.... À une terrasse,

     Sur St-Denis-en-bas.

La guitare
Cueille
 
     Des quatre-temps 
     Dans l’éclisse des rires.

La lune frivole
Brille
 
     Bien au-dessus 
     Des néons punks.

No future

Des moineaux
Frémissent
 
     Sur les pics 
     Des clôtures.

Les autos
Embrassent
 
     Le coït 
     D’asphalte.

Les notes
Se traînent
 
     Les pieds 
     Dans le haut-parleur.

Le temps trépasse

La voix rauque
Se lasse
 
     Puis reprend, 
     Puis reprend,
     Puis reprend.

Les cœurs
Se tordent
 
     Dans les poitrines 
     Grandes ouvertes.

La brume
S’effiloche
 
     Entre les jambes 
     Des femmes.

Montréal

Et nous
Nous nous regardons,

     Tout ratatinés 
     D’ennui. 

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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mardi 19 janvier 2016

Mémoire moelle

Au coup de minuit,
Près du carré Viger,
Les ridicules pigeons s’envolent
Par les vitraux éclatés de la vieille église.

Dans les ruines sacro-saintes,
     
les cierges s’étalent,
      les parures ternissent,
      les péchés expirent,
      les statues gisent cadavres.

Un jour,
L’ange blanc retroussera nos mots qui parlent
 
     de guerre,
     de haine,
     de détresse.
Une nuit,
L’ange noir cueillera nos rêves d’enfants 

pour faire nos rires du lendemain.

Alors que nous nous promettons Amour et Rire,
L’horizon divague au fond

     de nos mémoires catacombes,
Les sacrements se greffent aux nuages brûlants
Et les petites bêtes fragiles chantent

     à pleins poumons.

Assis sur son séant,
 
Entre ses contradictions,
Dieu ne se fait plus prier
     pour intimider,

     à froid,
     la moelle des âmes. 

Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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lundi 18 janvier 2016

Pour ainsi dire

Nous appréhendons la ville endormie
Où grouillent des milliers de personnes

     pour ainsi dire pauvres, 
     pour ainsi dire misérables 
     pour ainsi dire sans ressources aucunes
Sauf une lueur, là, dans le fond de leur œil
Qui endigue notre aplomb.

Nous n’avons pas su leur dire,
     leur redire

Ce qu’il y avait à dire,
     à redire...

Il ne restera bientôt plus
 
Dans l’obscurité enclenchée,
Que la voie lactée,
 
L’écume blanchâtre sur la dent de Dieu.

Nous n’avons pas su faire,
     refaire
Ce qu’il y avait à faire,
     à refaire...

Dans la ville à odeur de renfermé,
Hérissés de bonheur,
Nous souffrons de tant souffrance.
Persévérants, nous guettons,
     Dans les vies distendues,
La pauvreté fièvre mâcher les restants d’anatomie.

Dans la ruelle borgne,
Où s’étirent les grands détachements,
Les résidus de hasard s’épanchent
 
     sur les mots embaumés, 
     sur les gestes momifiés.
Les itinérants sont en sursis,
Flétris, mais non encore évacués.

Nous n’avons pas su prédire,
Nous ne saurons pas défaire.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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dimanche 17 janvier 2016

Noblesse

Nous ne fréquentons plus personne.
Des jours à la chaîne,
Tristes et monotones comme une corvée,
À s’ennuyer dans l’appartement,
À jouer aux cartes,
À philosopher.

Chaque soir du jour,
Nous descendons au centre de la ville,
Pour lui rentrer dedans,
Comme dans un sarcophage.
Nous nous nourrissons à même son nombril.
Nous faisons de longues marches.
Nous jouons aux citadins en crachant partout.
Nous marquons notre territoire.

La ville est une putain,
Ennoblit de beautés et de laideurs.
La Corriveau.
Néfertiti.
Et nous,
Jamais satisfaits,
Jamais heureux
De découvrir la vie
Comme on découvre une épaule.


Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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samedi 16 janvier 2016

Impureté

La pluie de la nuit passée
A dilué les couleurs
Des dessins tracés à la craie sur le trottoir.
Les coulisses ont formé
     Une œuvre effrayante,
Des griffures sur la carapace
D’un animal fabuleux.

Confiante en sa bonne étoile,
La fillette joue dans cet autre monde.

Dieu voit le dessus de sa tête,
Ses épaules,
La courbe de son dos
Quand elle se penche légèrement
     Avant de sauter,
Ses souliers luisants,
Trempés dans une encre bleu-noir,
    Et chatoyants,
Comme les carapaces irisées des scarabées.
 

Il voit surtout
     ses jambes grêles,
Comme celles des marionnettes,
La maigreur de son âge.

Dieu pèche par les yeux,
L’impureté toute crue.

Le paradis est à ses pieds.


Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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vendredi 15 janvier 2016

Béatrice

J'attends Béatrice
Dans la ruelle.
Mon cœur clignote
Dans une zone défendue.

Béatrice a la peau noire.
Une belle jeunesse grésillante,
Un feu couvant,
Un chrême enflammé.

Béatrice laisse derrière elle,
Une traînée de lavande,
En longues et minces effluves.
Le vent soulève sa jupe,
S’y complait un long moment.
Je la suis de loin,
Pour prendre d’elle
Ce qu’elle ne peut retenir.

Béatrice a dix-neuf ans,
Pas très belle,
Mais un corps potable
Comme un vin.
Une sensualité à fleur de peau,
Dans ses yeux,
Sur ses lèvres,
Dans cette façon qu’elle a
De retrousser son nez,
Comme une gamine.

Béatrice fait le chemin,
Ouvre ses reins à tous,
Fesses molles et cul dur,
Pour son bien-être pécuniaire,
Mais ajourne le projet
De m'aimer au-delà des mulsions,
Et passe son chemin,
Pour défaire ailleurs
D’autres nœuds sexes.

J’accompagne Béatrice un bout de chemin.
La musique chuinte de son baladeur,
Se fait toute petite dans ses oreilles,
Un frémissement d’insecte,
Presque un gémissement.

Puis Béatrice disparaît
Au coin de la rue,
Tel un ensoleillement de minuit.


Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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jeudi 14 janvier 2016

Touchers d’odeurs

Nous reniflons nos mains,
Telle une louve ses louveteaux.
S’y est incrusté un relent de toucher,
N’importe lequel.

Les mains n’oublient jamais
Ce qu’elle ont saisi
Et surtout détesté saisir.

Au creux de nos paumes,
Les lignes font une gare de triage
Nous ramène là
Où nous ne voulons plus jamais aller.

Certains jours,
Nous sommes trop beaux pour durer,
D’autres jours
Trop durs pour être beaux.

Être n’est pas devenir. 


Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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mercredi 13 janvier 2016

Voyeurisme

Nous marchons au hasard
Dans les rues du Quartier Latin.
Nous craignons quelques guet-apens.
Sans raisons, mais sans fard.

Dans une arrière-cours de la rue Ontario Est,
Un historien renoue ses lacets de bottines.

Devant le dépanneur du Coin,
Un punk caresse la nuque d’un chien aphteux.

Sur Saint-Denis,
Un arbre gobe une clôture en fer forgé.

Sur Sainte-Élisabeth,
Une murale pèle de toute sa peau.

Sur Sainte-Catherine,
Des bourrasques soulèvent
......les jupes des filles
Et ébouriffent leurs cheveux.

Dans la rue Sanguinet,
Où pénètrent à peine les rayons de lune et de soleil,
Où la pénombre règne en toute saison,
Qui sent l’urine et le smoked-meat,
......passent des anges.
Légers comme des queues de lumière,
Ils se promènent en douceur,
Longent langoureusement les murs
......des chambres à coucher.

Tant que nous tenons compte
......de l’ouverture d’esprit,
......des animaux,
......des arbres,
......des couleurs,
......de l’érotisme,
......de l’espérance,
Il est encore possible d’éviter le pire.

Une ville épanouie est sans pudeur,
Comme les prunelles d’un voyeur.


Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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mardi 12 janvier 2016

Muse araignée

J’attends sur la rue Sanguinet, la fille,
La remorqueuse de loques humaines
Utile en sa manière, offerte au gueux.
Mon cœur clignote dans une zone défendue,
Ma vie ne vaut rien, nulle belle réalité,
Guère plus qu’une queue dans un corps à vidange.
Vulgaire vie vide comme un trou de balle
.....Dans la tempe du bonheur.

Je paierai tout ce que la putain voudra,
Argent canadien ou dollars US,
Mais taxes en sus des nuits blanches,
Plus quelques morsures sur ses aréoles dures.
Je sais toujours quoi faire de l’indécence,
La chasteté n’est pleinement profitable
Qu’aux putes des grands boulevards,
Vulgaires sorcières qui se jouent de mes illusions,
.....Quand la nuit farfouille le froufrou de l’aube.

Si la fille conciliante ne vient pas
Dans mon sombre passage à vide,
Je tendrai mes bras à quelques vieilles filles esseulées,
Muses araignées qui me feront écrire un poème,
Une petite prière, menue comme un nombril,
Avec comme sujet mon rendez-vous raté avec la vie.
J’avouerai tout ce que la chair endormie voudra,
La convenance belle et dure aux dents longues
N’est profitable qu’aux poètes des grands chemins,
Vulgaires sorciers qui se jouent d’eux-mêmes
.....À grands mots suçant la glaciale jouissance.

Pierre Rousseau, Échancrures, 1995.

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lundi 11 janvier 2016

Œuvre de chambre

Le demi-sommeil camoufle nos petites hontes,
Ne reste qu’une odeur de lèvres moissons,
Qui disparaîtra bientôt,
Chassée par l’arôme du café frais.

La réalité est ailleurs,
Croquée par mille fantaisies
Tissées à même les fibres du bonheur.

« Les maléfices ! » disent, méchamment,
Quelques monstres hauts comme trois pommes.

Malgré tout, demain,
Nous poserons encore sur l’impalpable
Nos bras mous de dérision.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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dimanche 10 janvier 2016

Hématome

L'enfant pose ses mains ouvertes
Sur les carreaux de la fenêtre,
Comme deux insectes difformes ;
Puis, sur un autre, celui du milieu,
La pointe de sa langue,
Le nombril du monde, avant l’adulte.

Sur son cœur,
Il y aura désormais une tache,
Une pierre d’azur,
Un lapis-lazuli,
Une ombre bleue remplie de nuances,
Qui rendra une petite douleur
à la pression du doigt.


Les mains montrent...
Plus qu’elles ne retiennent.


Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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samedi 9 janvier 2016

Blessure propre

Près de la porte entrouverte,
Un objet,
Une patère,
En bel acajou et laiton poli,
Sans manteau,
Ni parapluie,
Ni chapeau.

La porte se referme,
Un coup de bélier,
Le judas s’assombrit,
L’œil de Dieu.
Une ombre dans un œil,
C’est la tristesse,
L’affliction.

La femme marche
Dans la pénombre du couloir,
Sans faire le moindre bruit,
Affligée,
Le mal de l’inexistence.

Dans la salle de bain,
L’eau coule du robinet,
La femme lave ses mains
À toutes les heures,
Du jour et de la nuit,
Comme un chien,
Sa patte blessée.

Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.

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vendredi 8 janvier 2016

Remords cosmiques

Tout s’écroule
Au fur et à mesure que j’avance.
Des gestes perdus,
Des paroles malheureuses,
La fatalité,
Ou un fâcheux concours de circonstances.

Je questionne l’avenir
Et laisse le principal sans surveillance,
La vie elle-même,
Dans sa petitesse,
Dans sa grandeur.

Je reluque le passé.
Je me persuade que rien n’est advenu,
Que la tragédie ne s’est jamais produite,
Que le remords est bien mort,
Qu’il n’a plus aucun effet
sur mes décisions,
sur mes gestes,
sur mes paroles.
Que mon imagination a tout fabriqué...

Mais le remords persiste,
Et ma mémoire saigne des planètes.

Pierre Rousseau, Les beaux naufrages, 2004.
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jeudi 7 janvier 2016

Le temps

Les aiguilles aux horloges
Des églises et des clochers
Ne distribuent pas le temps :
Elles en indiquent le terme.

Dans les clepsydres,
L’eau rejoint le temps.
Aussi, le sable dans le sablier.
Ainsi se forme les mers et les îles.
L’horloge varie.
L’espace quelques fois.
Jamais le temps.

L’horloge ne sert qu’à noter le temps
Pour démarquer les heures,
Les jours de la semaine,
Le quantième du mois,
Les phases de la lune,
Le lever et le coucher du soleil,
L’ouverture de tes bras.

À quoi sert une précision de -10³³,
S’il n’y a rien de plus précis
Que le cadran solaire...

Le temps n’existe
Que pour ceux qui attendent.


Pierre Rousseau, Les fillettes du roi, Guérin Éditeur, 1998.
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